Tanger – Tragédie de l’atelier clandestin : une mère a perdu ses 4 filles
Lorsque les unités d’intervention sont arrivées pour sauver de la noyade les travailleurs de l’atelier de textile clandestin de Tanger, ils ont découvert des corps sans vie flottant à la surface, une scène insoutenable.
« Les visages des victimes ne me quittent plus. Se noyer sur son lieu de travail est inimaginable, les gens se noient en mer ou dans une rivière… Je ne comprends pas » a confié un médecin qui a reçu les corps des victimes lundi matin, cité par le site arabophone Hespress.com.
Des cadavres non-identifiés
Lundi 8 février était une journée ordinaire à l’atelier de textile qui emploie plus de 100 ouvriers, dont beaucoup de femmes, venus à Tanger de différentes villes à la recherche d’un travail qui leur garantisse la dignité. Tout le monde était occupé à son travail et certains tissaient, sans doute, des rêves à l’intérieur du sous-sol de la villa transformée en atelier. A aucun moment, ils ne doutaient que la mort les guettait à cause des pluies diluviennes qui se battaient sur la ville.
A 8h10, les eaux de pluie ont commencé à envahir l’atelier clandestin qui se trouve au bas de la villa. Certains ouvriers ont tenté de contacter leurs familles pour faire part de la catastrophe et demander de l’aide.
Au fil des minutes, l’atelier s’est trouvé rempli d’eau. Alors que certains ouvriers ont essayé de sortir et d’échapper à la mort, d’autres ont été piégés par les eaux dans un moment de panique. Seuls, les ouvriers travaillant au premier étage ont pu sortir par la seule porte de l’atelier et échapper à la mort.
Ali Jabli, médecin à l’hôpital Duc de Tovar, qui a reçu les victimes de l’atelier clandestin, a indiqué qu’il a reçu la nouvelle vers 11 heures de victimes d’inondations à l’intérieur d’une usine.
« Je me suis dit que cela ne pouvait être que des cas d’hypothermie, mais lorsque les ambulances ont commencé à amener les victimes, nous avons constaté qu’il s’agit de cadavres », a affirmé le médecin, cité par le site arabophone Hespress.
Et d’ajouter: « Tout au long de ma carrière de 16 ans aux urgences, je n’ai jamais vécu un tel moment. Notre rôle, nous, est de secourir et d’aider les blessés, mais cette fois je devais juste constater la mort et remplir l’attestation de décès ».
« Nous avons isolé les dépouilles dans un endroit et leur avons donné des numéros, car ils étaient sans identité. Ce sont tous des jeunes et il y avait beaucoup plus de femmes que d’hommes. Je me suis dit qu’ils avaient des rêves et allaient travailler pour gagner leur vie. Mais le destin et la volonté d’Allah étaient plus forts. Notre patrie doit être un pays d’application des lois, de respect du code de travail et des conditions de sécurité au travail ».
Une mère perd ses 4 filles
Près de l’atelier dans le quartier Enas, un père, qui a perdu sa fille unique, est effondré. « Ma fille est décédée… Elle est partie… je ne peux pas imaginer ma vie sans ma fille. Ma fille travaillait sans aucun document administratif, je voudrais mon droit et celui de ma fille », dit-il.
Quant à la mère de l’une des victimes, elle a exigé que soit dévoilée toute la vérité sur cette catastrophe, indiquant que « sa fille travaillait dans cet atelier depuis plus de deux ans, qu’elle avait arrêté en raison de la pandémie de Covid-19 avant de retourner au travail ces dernières semaines ».
Une autre mère affirme avoir perdu ses quatre filles à cause dans cette tragédie, lançant un appel au roi Mohammed VI à lui rendre justice.
« Mon mari est mort et mes quatre filles viennent de décéder », a-t-elle raconté aux médias, ajoutant que deux d’entre elles étaient mariées et une se préparait au mariage.
Le communiqué de la wilaya de la région de Tanger a « tenté de dissimuler ses responsabilités”
Alors que des habitants du quartier où se trouve l’atelier clandestin ont attribué le drame au manque d’entretien des égouts d’évacuation des eaux usées.
L’Observatoire du Nord des Droits de l’Homme a appelé à engager des poursuites judiciaires à l’encontre des personnes impliquées dans cette tragédie qui a coûté la vie à 29 personnes qui travaillaient dans un garage souterrain d’une villa transformée en atelier, soulignant « la responsabilité des autorités locales, y compris de la wilaya et de la commune urbaine de Tanger, dans cette tragédie ».
« Comment est-ce possible que des dizaines de travailleurs fréquentent, pendant des années, ce garage d’une villa dans un quartier résidentiel sans attirer l’attention des autorités locales et régionales? Comment une unité industrielle dans un garage de villa peut-elle obtenir le courant électrique de haute tension sans en être autorisée par les autorités compétentes? », s’interroge l’Observatoire.
Pour l’Observatoire, ce drame implique aussi la responsabilité de la société Amendis quant à sa gestion des eaux usées et de l’électricité.
Il déplore, par ailleurs, que le communiqué de la wilaya de la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima ait « tenté de dissimuler ses responsabilités » dans cette affaire, appelant à la suspension des responsables administratifs impliqués dans la gestion de la zone qui a connu ce drame et à l’ouverture d’une enquête à ce sujet.
Reste à souligner que le propriétaire est en état d’arrestation et qu’une commission d’enquête a été dépêchée par le ministère de l’Intérieur pour mettre au clair cette triste affaire.