Tribune libre – Une crise avec l’Allemagne ou avec l’UE ?
Par Mohamed Boudra
C’est un évènement qui mérite une attention particulière en raison des implications qu’il pourrait avoir sur l’avenir. Il s’agit de la décision du Maroc de suspendre ses relations avec l’ambassade d’Allemagne à Rabat à cause de malentendus profonds, selon la lettre du ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger adressée au chef du gouvernement.
En réalité, la décision marocaine contenue dans la lettre, dont les mots ont été choisis avec un grand soin, et même si elle ne dévoile pas ses véritables raisons, n’a pas constitué une surprise.
Les prises de position allemandes négatives et répétitives envers le Maroc ont fait que la colère de Rabat était attendue, d’autant que ces positions constituent la pierre d’achoppement de la diplomatie marocaine dans les couloirs de l’Union européenne et même des Nations unies,lorsque l’ambassadeur d’Allemagne à l’ONU, dont le pays présidait le Conseil de sécurité, avait réclamé une réunion urgente pour l’évaluation de la situation au Sahara après la reconnaissance par les Etats-Unis de la souveraineté pleine et entière du Maroc sur le Sahara.
L’Allemagne tente de prendre le leadership de l’Union européenne, notamment après la sortie de la Grande Bretagne et l’impact du Brexit sur la politique étrangère de l’UE, fondée sur deux visions : l’une atlantique, selon l’ancien président français De Gaulle,conduite par Londres, l’allié naturel et stratégique des Etats-Unis, et la seconde purement européenne marquée par les consensus difficiles et les divergences entre ses nombreux membres.
Les ambitions de l’Allemagne au sein de l’UE justifient son fort attachement à un siège permanent de l’UE au Conseil de sécurité de l’ONU dans la perspective d’une restructuration de l’Organisation des Nations unies, une demande qui peut affaiblir la position de la France, son allié, au Conseil de sécurité et réduire son influence auprès de ses alliés traditionnels, dont le Maroc.
Ainsi, l’Allemagne, et en attendant la restructuration de l’ONU, tente de réaliser une percée dans la zone d’influence de la France, dont le dernier acte en date est l’exploitation de la crispation actuelle dans les relations entre l’Algérie et la France pour faire avaliser par toute l’Union européenne l’option du séparatisme au Sahara marocain, un rêve caressé par l’Algérie, et mettre ainsi en danger les perspectives de paix dans la région, face à la décision courageuse des Etats-Unis de reconnaitre la souveraineté du Maroc sur son Sahara.
La concurrence franco-allemande sur les zones d’influence, dont la région maghrébine, est un secret de polichinellemême lors de la crise de Tanger sur la situation coloniale, au début du 20ème siècle.
Cette compétition entre les deux pays peut être perceptible dans la course effrénée pour la résolution des crises dans la région, comme la conférence de Berlin sur la situation en Libye, dont le Maroc avait été exclu par l’Allemagne même si c’est l’accord de Skhirat qui a favorisé en quelque sorte la tenue de cette réunion de Berlin, une démarche allemande qui a suscité de nombreuses interrogations chez les Libyens eux-mêmes avant le Maroc.
Cette concurrence, qui a parfois les allures d’une confrontation, et qui marque les relations entre les pays de l’UE, est la même logique qui conduit à la confrontation avec d’autres pays, dont le Maroc, et qui caractérise les positions des pays membres du Conseil de sécurité de l‘ONU sur le Sahara, à l’exception notable de la position importante et de poids des Etats-Unis en raison de la place de Washington sur la scène internationale.
Il n’est donc pas étonnant d’entendre le ministre marocain des Affaires étrangères demander à l’Europe de sortir, dans ses relations avec le voisinage méditerranéen, de la logique de professeur et de l’élève.
Cette déclaration, qui n’a pas beaucoup retenu l’attention des médias, comptait néanmoins parmi les importantes actions entreprises par la diplomatie marocaine, dont la décision de suspendre tout contact avec l’ambassade d’Allemagne à Rabat, une semaine plus tard.
Le Maroc a accompagné l’UE depuis sa création en 1969 dans le cadre de relations de coopération et de partenariat sans cesse renouvelées, et bien avant l’adhésion de l’Espagne à ce regroupement européen en 1982.
Le Royaume a poursuivi parallèlement son chemin vers la démocratie et le développement en diversifiant ses partenariats stratégiques avec d’autres pays, chose qui n’a pas parfois été du goût de l’UE.
Donc, si l’Europe rechigne à soutenir la décision américaine sur la marocanité du Sahara, première puissance au monde, elle doit en tirer les leçons avant la résolution définitive de ce conflit qui ne peut être que dans le cadre de l’autonomie proposée par le Maroc et le respect de ses droits légitimes et de sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire.
– Président du conseil communal de la ville d’Al Hoceima
– Président de l’association marocaine des présidents des conseils communaux