L’enseignement à distance à l’ère du coronavirus

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Jaouad Boumaajoune

Afin d’éviter la propagation de l’épidémie du coronavirus et pour assurer la continuité de l’enseignement pendant la période du confinement consécutif à la déclaration de l’état d’urgence sanitaire par le gouvernement marocain, un dispositif de cours à distance, présentés sur une panoplie de chaînes TV, de stations radios et de portails électroniques, a été mis en place et lancé le 16 mars 2020 par le ministère de l’Education nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.

Les cours présentiels étant annulés suite à la décision de fermeture des établissements scolaires et universitaires jusqu’à nouvel ordre, d’autres méthodes d’enseignement s’imposent. Des cours numériques ont été, donc, immédiatement publiés sur des plateformes conçues pour ce genre d’opérations, d’autres diffusés à la radio et d’autres encore télévisés pour permettre aux élèves et étudiants de poursuivre leurs études, dans ces circonstances difficiles et sans précédent.

Or, il faut bien noter que le recours intensif des autorités marocaines à ce type de supports éducatifs et d’outils pédagogiques remonte à la première décennie du siècle présent. C’est en 2005 que le Maroc avait connu la naissance d’une chaîne publique baptisée à l’époque “L’Educative”, et également appelée “la Quatrième”. Cette chaîne à vocation éducative s’est positionnée depuis son lancement comme une chaîne de proximité dont le but principal est d’investir les champs de l’éducation avec des émissions consacrées au soutien scolaire, à l’alphabétisation, à la culture et à l’emploi.

Et c’est en 2005 aussi qu’a été lancé le Programme GENIE (Généralisation des technologies d’information et de communication dans l’enseignement au Maroc) qui est venu traduire la volonté nationale d’intégrer les TIC dans l’éducation. Ceci, sans oublier les autres formations qui avaient eu lieu dans plusieurs AREF du Royaume dans le cadre de projets pilotes, montés en partenariat avec des organismes internationaux, et qui avaient pour objectif de préparer les enseignants à l’expérimentation des ressources numériques.

Aujourd’hui, en ces temps de coronavirus, le ministère a certes réussi à faire comprendre aux concernés, par ses mesures exceptionnelles, qu’il ne s’agit pas de vacances et donc à les pousser à rester en contact avec leurs milieux scolaires et universitaires. Mais, il ne faut pas éloigner la possibilité d’existence d’un certain nombre de familles marocaines qui ne disposent ni d’un accès Internet ni d’une télé. Cela étant, les intervenants dans le processus décisionnel sont tous appelés à prendre en considération cet état de fait irréfutable, avant de passer à la numérisation des examens et des évaluations, pour éviter toute injustice à l’égard de ces victimes de la digitalisation précoce des contenus pédagogiques.

A vrai dire, s’il est juste d’applaudir la réaction rapide du ministère de tutelle et les efforts colossaux déployés par toutes les composantes du système éducatif marocain pour réussir ce chantier national, il est aussi obligatoire de nous arrêter sur certaines remarques générales que nous pouvons résumer ainsi:

1- Les enjeux sont certainement grands et importants mais les défis/obstacles semblent énormes et plus grands.

2- L’adhésion spontanée, citoyenne et responsable des enseignants, tous cycles confondus et malgré toutes les difficultés techniques et logistiques rencontrées, est à saluer chaleureusement. Leur implication consciente et inconditionnée est plus qu’honorable.

3 – La précipitation, l’empressement, l’improvisation et la “théâtralisation” nous ont mis devant des capsules vidéos conçues à la va-vite et qui regorgent d’erreurs imposantes.

4 – A cause des disparités socioéconomiques et géographiques, des élèves/étudiants, issus de familles démunies ou tout simplement habitant dans des cantons non couverts par les réseaux Internet, se sont trouvés privés de leur droit d’apprendre.

5 – S’ils sont d’usage et bien accueillis dans certaines sphères scientifiques d’ordre purement théorique, les polycopiés sont loin d’être fructueux quand il s’agit d’une discipline de réflexion expérimentale basée sur des travaux pratiques ou dirigés.

6 – La réception et le degré d’appréhension des cours à distance varient d’une personne à une autre en fonction de facteurs extra-intellectuels. C’est ce qui peut engendrer des inégalités cognitives conséquentes.

7 – L’enseignement à distance ne peut en aucun cas remplacer le contact direct, la réactivité et l’interactivité nécessaires à la transmission de certains savoirs et savoir-faire.

8 – Les contenus de certains cours se construisent graduellement et en fonction de la complicité affective qui anime les échanges et attise le débat entre l’enseignant et l’apprenant.

9 – Loin des considérations purement scientifiques, l’opération d’enseignement/apprentissage est avant tout une opération émotionnelle. Le travail de l’enseignant dépasse de très loin celui de la machine : il est un éducateur, un modèle, un médiateur, un facilitateur…

10 – La programmation de formations variées sur l’usage des NTIC et l’élargissement de l’offre technologique dans les écoles et universités s’avèrent inéluctables pour familiariser les acteurs du champ éducatif avec cette nouvelle donne internationale qu’est la numérisation du savoir.

Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, nous invitons le ministère à se pencher sur des solutions susceptibles de remédier aux défaillances constatées et l’informons que les enseignants seront toujours là pour répondre oui à l’appel de la patrie.

* Enseignant-chercheur à l’Université Abdelmalek Essaadi

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